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Revue de Management et de Stratégie
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L’État a-t-il vraiment fait une mauvaise affaire en vendant les autoroutes ?




La rédaction


Treize ans plus tard, le mythe des autoroutes concédées en cadeau au privé persiste, ravivé par la polémique autour de la privatisation d’ADP. Pourtant, un examen précis du dossier montre plutôt que le premier bénéficiaire de l’opération est l’État.



Les bénéfices d’une cession

Depuis la privatisation de 2006, les opérateurs privés poursuivent la même mission que l’État avant eux et sont considérés de fait comme délégataires d’un service public. Lorsque la concession touchera à sa fin, la rétrocession sera gratuite (1) et sans dette, elle-même rachetée et remboursée à la place de l’État par les sociétés privées entre temps. Entre 2002 et 2006, l’État avait perçu 19 milliards d’euros de la part des sociétés concessionnaires autoroutières (SCA). Mais la mise en concession ne signifie pas que l’État ne touche plus rien : entre 2006 et 2013, les SCA ont versé 15 milliards d’euros d’impôts et taxes, complétés par une TVA sur les péages autoroutiers d’un montant quasi-équivalent, grâce à l’augmentation de la taxe d’aménagement du territoire (2).L’État gagne toujours de l’argent grâce aux autoroutes, et en parallèle, il dépense moins : en 2015, un nouvel accord État / concessionnaires obligeait ainsi les entreprises concessionnaires à investir 3,27 milliards d’euros en travaux, et leur demandait de verser un milliard d’euros supplémentaires pour améliorer les infrastructures nationales. Cela, afin de « dégager des ressources nouvelles pour le financement des infrastructures de transport [et] contribuer à la relance de l’activité économique et permettre des créations d’emploi dans le secteur des travaux publics. » (3)

Outre les gains économiques directs, les concessionnaires fournissent d’autres avantages à l’État, qui peut grâce à ces derniers pratiquer un effet de levier via leur capacité à emprunter sur les marchés financiers. Depuis 2006, les concessionnaires ont de plus supporté le coût d’autres changements législatifs qui, du coup, ne sont pas à la charge l’État. Le « Paquet vert », signé avec l’autorité publique en 2010, consiste ainsi à répondre aux enjeux de biodiversité et d’aménagements verts en les transposant dans le domaine autoroutier. (4) Pourtant, ni le cahier des charges ni aucune réglementation n’imposaient cet investissement de plus d’un milliard d’euros sur trois ans. Le privé prend à sa charge de nombreux développements que l’État devrait faire peser sur les contribuables si les autoroutes étaient restées dans la sphère publique : le financement des infrastructures de transports, les campagnes de communication & prévention, les innovations technologiques, le développement du tissu économique et des emplois grâce à l’extension de services autoroutiers, ou la mise en place de nouvelles mobilités. Le tout, à la charge des concessionnaires, qui restent aujourd’hui encore loin d’être assurés d’amortir leurs investissements.

Des acteurs privés toujours dans le doute

Les critiques à l’encontre du privé oublient en effet que la rentabilité n’est pas toujours garantie, en particulier au regard du fonctionnement spécifique des concessions autoroutières. La « rente » tant décriée n’en est pas une. Le modèle de la concession repose sur la contraction de dettes (rachat de la dette étatique et acquisitions), ici d’un montant de 30 milliards d’euros. La SCA les rembourse sur plusieurs années, avant de rendre gratuitement la concession à l’État tout en ayant investi en parallèle près de deux milliards d’euros chaque année d’exploitation.

L’amortissement de ces investissements reste incertain, avec de plus la nécessité d’investir cinq euros pour en obtenir un de chiffre d’affaires, réduisant d’autant la marge réelle. En parallèle, le secteur est soumis à de multiples aléas. Depuis 2006 par exemple, la densité du trafic reste en deçà des prévisions qui ont conduit à la reprise par des concessionnaires. La crise de 2008 et son impact sur la consommation des ménages ont pour leur part directement affecté la fréquentation des autoroutes, mais aussi le trafic du transport routier, qui a reculé de 13,6 % en vingt ans (6).
En dépit de certaines images d’Épinal, les acteurs privés n’ont par ailleurs pas les coudées franches ni ne font de profit démesuré par rapport à leurs investissements. Pour être financés, ils doivent se soumettre à des critères exigeants, à savoir une évaluation suffisamment positive de la part d’agences de notation financière pour pouvoir ensuite prétendre à un emprunt auprès des banques et des marchés obligataires (7). Une fois les prêts obtenus, les concessionnaires projettent un taux de rentabilité interne (TRI), qui doit être généralement supérieur à 10 % pour le privé. Il n’est toutefois que de 7 % dans le cas des autoroutes pour la durée résiduelle de la concession, après le remboursement des dettes – notamment à cause du processus de mise en concurrence lancé par l’État qui tire leur TRI vers le bas. Le privé reste de plus soumis à plusieurs risques auxquels l’État échappe désormais : des coûts imprévus, une variation des taux d’intérêt, un volume de trafic que peuvent impacter une crise ou des catastrophes soudaines, ainsi que les besoins de liquidité lorsqu’il est nécessaire de refinancer les emprunts obligataires émis.

Conjoncturellement comme structurellement, l’État a donc réalisé globalement une bonne opération en cédant ses autoroutes, économisant des dépenses, réalisant quantité d’économies tout en épargnant certaines externalités négatives à l’ensemble des citoyens. Les risques et les investissements sont assumés par des sociétés de concessions autoroutières qui, treize ans après, restent endettées (8), quoiqu’en disent les critiques qui distendent les faits pour les instrumentaliser dans le contexte de la privatisation d’ADP. Les fake news ne sont pas l’apanage du domaine politique.

Notes :
  1. https://www.autoroutes.fr/FCKeditor/UserFiles/File/ASFA_Concession%20Autoroutes_11.pdf
  2. Pour plus de précisions sur les taxes dues par les concessionnaires d’autoroutes : http://bofip.impots.gouv.fr/bofip/155-PGP.html

  3. https://www.ecologique-solidaire.gouv.fr/societes-concessionnaires-dautoroutes-sca

  4. http://www.side.developpement-durable.gouv.fr/EXPLOITATION/DEFAULT/doc/IFD/IFD_REFDOC_0512826/paquet-vert-autoroutier-suivis-ecologiques-de-la-biodiversite-en-section-courante-pour-l-annee-2011 / https://www.autoroutes.fr/FCKeditor/UserFiles/File/Les%20programmes%20verts.pdf
  5. http://www.autoritedelaconcurrence.fr/pdf/avis/14a13.pdf

  6. https://www.actu-transport-logistique.fr/routier/le-marche-du-transport-routier-entre-crise-economique-et-concurrence-etrangere-428921.php

  7. https://www.banque-france.fr/fileadmin/user_upload/banque_de_france/archipel/publications/bdf_rsf/etudes_bdf_rsf/bdf_rsf_04_etu_1.pdf
  8. https://www.arafer.fr/wp-content/uploads/2018/12/cp-synthese-des-comptes-des-societes-concessionnaires-dautoroutes-exercice-2017.pdf &https://www.arafer.fr/wp-content/uploads/2018/12/pdfsam_rapport-pour-site-internet-03-12.pdf